Perte de poids: les émotions qui empêchent de mincir

Prise de poids, quand les émotions commandent

Dès la naissance, la survie et le rapport aux autres sont intimement liés à la nourriture. Et toute la vie, se nourrir reste chargé d’affects. Les rondeurs se font boîtes à souvenirs et vouloir s’en délester ranime des émotions archaïques, en noue de nouvelles ou révèle des angoisses.

Nombre de familles entretiennent, consciemment ou non, une relation émotionnelle aux aliments : avoir un bon coup de fourchette ou être une bonne vivante signe le bonheur partagé entre tous. C’est aussi la preuve du lien affectif et de l’attachement témoignés à celui ou à celle qui a cuisiné, avec une charge affective décuplée si c’est la mère. 
La nourriture offerte se veut symboliquement une preuve d’amour. Refuser de manger, c’est refuser l’amour. Résultat : on finit son assiette jusqu’à la dernière miette, quitte à outrepasser sa satiété, pour dire combien on aime, ne pas trahir les coutumes familiales ou faire plaisir. 
Le hic ? Cela dépasse le cercle familial, et la culpabilité s’empare de celle qui relègue l’excédent de son assiette lorsqu’elle est rassasiée. Mincir oblige à naviguer entre un conflit intérieur, nourri du désir coupable de s’affiner, et un conflit de loyauté envers les siens.

La morphologie : une part d’héritage

Quand on fait partie d’une famille de ronds, être plus mince peut s’apparenter à un désaveu de ses racines, voire à une rupture ou à une trahison symbolique. Les rondeurs valident l’appartenance à la lignée.

Dès lors, comment s’autoriser (vraiment) à maigrir au risque de blesser ceux qu’on aime ? D’autant que « mincir, c’est aussi rompre avec ceux qui nous aiment tel que nous sommes, et à qui on dit, en maigrissant, qu’ils ont tort de nous aimer ainsi, puisque nous-mêmes, on ne s’aime pas« .

Lorsque la culpabilité est trop douloureuse, l’inconscient a une arme pour nous épargner cette souffrance : ne pas réussir à maigrir.

La peur inconsciente d’être désirable

Les kilos forment une carapace qui protège du regard d’autrui, des agressions du monde extérieur et du désir masculin en particulier, mais aussi de son propre désir pour l’autre, conscient ou non. Ils permettent d’instaurer une distance entre l’autre et soi, et, croit-on, de faire obstacle au désir.

Car plaire, être désirable, éprouver du désir, s’abandonner aux corps à corps de la sexualité, comme toute relation à l’autre, peuvent être vécus comme une mise en danger, parce que cela induit une perte de contrôle. Maigrir, c’est alors devenir vulnérable jusqu’à l’angoisse. « Coincées entre la difficulté à se confronter à leurs peurs et maigrir, certaines choisissent inconsciemment de se protéger en gardant leurs kilos ».

Manger pour se consoler

Coup de blues, réunion stressante, rupture amoureuse ou colère… On se goinfre pour anesthésier les émotions qui font mal. Le souci ? Ça marche ! Manger, en libérant dans le sang des endorphines apaisantes, est le plus naturel des antidépresseurs. Un phénomène renforcé avec le sucré, qui dope le taux de sérotonine, la molécule de la sérénité.

Résultat : on remet le couvert chaque fois que la vie grimace, et comme on avale sans faim plus de calories qu’on en dépense, on stocke.

Le cercle vicieux s’élargit : « Tandis qu’on se lamente sur son poids, on évite de se confronter à ses problèmes moins bien connus ou plus douloureux. Or, à long terme, plus nous évitons nos émotions, moins nous les supportons. Ainsi, au début, on mange pour se consoler de grandes douleurs, puis on mange pour des portes qui claquent, puis avant même que les émotions surviennent ».

Se glisser dans l’image que l’autre projette sur soi

Parce que l’homme désiré nous aime voluptueuse et afin de mieux le séduire, on adopte ces courbes généreuses affichées « par amour », bien qu’elles ne collent pas au schéma corporel dans lequel on se sent bien, ni dans lequel on se reconnaît. Tiraillée affectivement, on s’éreinte dans un dilemme qui active des peurs – moins lui plaire, son désir risque de s’émousser – et qui malmène l’image de soi, dont on n’apprécie pas le reflet.

Sachant que, parfois, les proches sont ambivalents et peuvent désirer, inconsciemment, qu’on ne maigrisse pas: « Certains craignent ce qui pourrait arriver si on perdait du poids. Ne seriez-vous pas encore plus séduisante aux yeux de tous ? Les kilos peuvent aussi être perçus comme une marque de fragilité ou de dépendance, dans laquelle il y a peut-être un bénéfice à vous maintenir.

Se conformer à la vision d’une mère qui voue un culte au corps

Depuis l’adolescence, certaines femmes s’escriment à satisfaire l’image idéale que leur mère conçoit d’elles. En vain, ce n’est jamais assez bien, ni même suffisant. D’impératifs diététiques draconiens en yoyos, elles passent leur vie à lutter avec elles-mêmes pour tenter de dominer cet objet qu’est devenu leur corps.

« Inconsciemment, elles poursuivent l’intransigeance maternelle vis-à-vis d’elles-mêmes », décode le Dr Waysfeld. Au fil du temps, l’estime de soi s’effrite et, fragilisées, elles craquent et se réconfortent dans la nourriture. D’échecs en reprises de poids, mécanisme de défense du corps oblige, plus aucune diète ne marche. De plus, « ne pas maigrir peut aussi être une manière de rester en opposition avec l’image maternelle intériorisée », précise-t-il.

Les non-dits s’accumulent sous forme de rondeurs

Gamine déjà, on nous bâillonnait d’un : « Tais-toi et mange ! » On prend sur soi et on encaisse sans ciller – les petites humiliations, les chagrins, les colères… –, au travail comme à la maison. Mais le ressenti s’exprime quand même.

Les kilos matérialisent tout ce qu’on ne s’autorise pas ou qu’on n’ose pas dire. Aucune mesure diététique ne peut marcher sans d’abord déverrouiller les mots qui ouvriront la voie aux maux : « Oser parler, c’est prendre le risque d’être enfin entendue« , insiste la psychologue Michèle Freud, auteure de Mincir et se réconcilier avec soi  (éd. Albin Michel).

Quand réussir à maigrir équivaut à réussir sa vie

Pour certaines d’entre nous, parvenir à perdre du poids est deve­nu la mesure étalon de la valeur qu’elles s’accordent. Ou non.

Dans le sens où maîtriser son projet de minceur signifie maîtriser sa vie (professionnelle, amoureuse, sociale) et donc la réussir, avec l’idée sous-jacente : « Je serai enfin heureuse quand j’aurai minci. » Maigrir s’inscrit alors sous le joug d’une pression cognitive qui ne laisse aucun répit émotionnel et contre laquelle l’organisme va se défendre. Soit il se verrouille, soit on décolle dans un premier temps, mais inévitablement des compulsions récurrentes suivent la restriction.

Apprendre à se connaître : une vraie solution minceur

On amorce un travail sur soi avec un psy, pour cerner puis dénouer les nœuds qui entravent la perte de poids. »Bien des personnes qui commencent un régime tentent de faire abstraction de leurs difficultés psychologiques et relationnelles pour se concentrer sur la perte de poids. Elles remettent à plus tard les affrontements et remises en question. Tout sera plus facile, pensent-elles, quand elles auront maigri. Il n’en est rien. Devenir mince ne consiste pas seulement à perdre des kilos, cela nécessite des transformations plus complexes en soi que la simple perte de poids », souligne le Dr Apfeldorfer.

En complément de la diététique, maigrir peut ainsi impliquer de mettre le projecteur sur ce qui se joue entre soi, la nourriture et la relation présente ou passée à ses proches. Également d’éclaircir le rapport qu’on entretient avec son corps, de décrypter le sens de ses kilos en trop et l’enjeu qu’on place derrière la perspective de minceur.

La thérapie comportementale et cognitive permet de travailler sur l’image de soi, sur son rapport à la nourriture et sur les pensées toxiques, telles que : « Si je maigris, je trahis les miens, je serai la seule mince », ou : « Pour être aimée, je dois maigrir ».

La psychothérapie d’inspiration analytique permet de verbaliser les émotions et les peurs, de s’en libérer et de remonter jusqu’à la source inconsciente d’un mal-être. Au final, on apprend à apprivoiser et à supporter ses affects sans les gérer via les aliments, à mettre à distance des blessures passées, à s’affirmer dans son corps et dans sa vie, à se témoigner de la bienveillance, et à restaurer l’estime de soi.

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